Chanson bretonne L'enfant et la guerre by J. M. G. Le Clézio

Chanson bretonne  L'enfant et la guerre by J. M. G. Le Clézio

Auteur:J. M. G. Le Clézio
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit
Éditeur: Gallimard
Publié: 2020-03-12T06:23:48+00:00


Aujourd’hui, c’est cette Bretagne qui m’émeut. Grâce aux agriculteurs, les beaux champs de blé de mon enfance courent encore jusqu’au bord de la mer. Je ne sais rien de plus beau qu’un champ de blé devant la ligne des dunes ou le long des falaises. Une simple haie de ronces et de fougères les sépare de la lande, comme un symbole entêté de résistance aux désordres de la mer et aux déserts pavillonnaires. On est reconnaissant au Conservatoire du littoral et à M. d’Ornano. Leur action a été bénéfique, mais il ne faudrait pas oublier le rôle que les Bretons ont joué eux-mêmes dans la sauvegarde du pays breton, d’une certaine idée de la nature, du respect du mystère. La préservation des monuments préhistoriques, l’entretien des chemins de traverse, le nettoyage des plages et le goût pour le maintien des bosquets ne sont pas le fait du hasard. Les habitants des villages n’attendent pas les subsides de l’État pour décider de cela. Étant revenu en Bretagne peu de temps après le remembrement des années 60, j’avais été consterné par l’insolence de la modernité, je croyais que tout était fini, que le paysage archaïque et délicieux allait disparaître à jamais. J’ai vu, année après année, au cours de mes séjours, les chemins creux se reconstituer, dans le pur enseignement de Skol ar Kleuziou, l’école des talus.

Les vieux murs de pierre sèche qui séparaient les parcelles, un moment fracturés, se sont ressoudés, le modèle ancien de la chaumière bretonne n’a pas été trahi, même si les murs sont en parpaings et les toits en ardoises espagnoles. C’est cette constance silencieuse, certains diraient cette obstination, qui est la véritable identité de la Bretagne, en Arvor ou en Argoat, le pays de la mer ou le pays des forêts, au-delà de tout folklore à l’intention du tourisme et de toute complaisance pour la couleur locale. La Bretagne de mon enfance n’était pas toujours charmante. Il y avait des tas d’ordures à l’entrée des villages, les routes étaient semées d’ivrognes et certaines maisons étaient d’une pauvreté insupportable. La Bretagne portait souvent les traces de la misère noire dans laquelle elle avait été plongée après sa mise en tutelle par l’État français, et les scènes que décrit le voyageur anglais Arthur Young qui visitait la région de Rennes un peu avant la Révolution semblaient toujours vivantes, mendiants en guenilles et vieilles femmes brisées par la décalcification. On pouvait trouver encore à Quimper la ruelle sordide où avait vécu Jean-Marie Déguignet. La Bretagne de mon âge mûr, et maintenant de ma vieillesse, a changé de visage, est devenue propre et pimpante, les fermes sont, grâce aux femmes, décorées de parterres de fleurs, les villages font des concours pour animer leurs ronds-points et leurs krez ker, leurs centres-villes. L’arrivée de l’agriculture biologique a redonné vie à d’anciennes exploitations rurales qui avaient été abandonnées. Des jeunes, garçons et filles, sans doute désillusionnés par la précarité dans les banlieues urbaines, ont décidé de changer de vie, ils redressent les vieilles pierres, utilisent le compost et refusent les semences industrielles.



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